Le barrage de Sivens
Mi-septembre, j’étais dans le Lauragais ;
J’ai voulu aller voir le Tescou, les lieux du barrage de Sivens, la ZAD dont tout le monde parle.
Le Tescou est un petit ruisseau ridicule de 51 km qui prend sa source près du vieux village perché de Castelnau de Montmirail et se jette dans le Tarn près de Montauban. La zone du barrage se situe sur le territoire de la commune de L'isle sur Tarn entre Bongen et Barat.
Sur son bassin versant, ici ou là, il y a déjà 185 retenues collinaires qui servent à l’agriculture du coin et captent plus de 5 millions d’hl d’eau ; Elles récupèrent ainsi 1/3 de l'eau du Tescou ; à cela il faut ajouter des forages et captages nombreux du coté de Montgaillard. Le Tescou traverse la forêt de Sivens, on peut presque le sauter à pied joint ; Il entretient (entretenait) une zone humide riche en biodiversités.
Un peu d’histoire….
Ce projet de barrage est depuis longtemps dans les tiroirs du conseil général du Tarn
En 1976 le conseil général du Tarn achète la forêt de Sivens et souhaite l’aménager pour le tourisme ; La forêt de Sivens, idéalement située entre Toulouse, Albi, Montauban, couvre une partie de la vallée du Tescou.
En 1978 on parle déjà d’un projet de barrage souhaité par des agriculteurs de la basse vallée et soutenu par la Direction Départementale de l’Agriculture et la Chambre d’agriculture. Les agriculteurs du lieu s’y opposent et ne laissent personne entrer sur leurs terres
En 1983 Un projet de lac est refusé par les habitants
En 2001 nouveau projet de Barrage de Sivens. La vente de terres agricoles et le décès d’un agriculteur sans successeur permettra au conseil général de préempter et de devenir propriétaire, permettant ainsi l’entrée sur ses terres pour faire enquêtes et relevés malgré l’opposition de certains agriculteurs.
En 2009 le projet est présenté
Le barrage de Sivens
Après diverses modifications on arrive au projet actuel :
Un barrage d’une emprise de 48ha : 1.5Km sur230m ; un mur barrage de 12,8m de haut, une retenue d’eau de 5 millions de m3. 30% de cette eau est réservée à l’étiage et 70% à l’irrigation de 309 ha possibles.
C’est un projet modeste, cependant surdimensionné pour les besoins du lieu et destructeur pour l’environnement.
Pour cette réalisation on a du exproprié des terres agricoles et détruire une des dernières zones humides du Tarn.
Cout de l’opération : 8 400 000 euros.
Le projet est cofinancé par l’Etat, la Région, l’Agence Adour-Garonne, le Conseil Général et… l’Union Européenne
Cout de fonctionnement prévu : 360 000 euros par an pendant 20 ans.
L’union Européenne sollicitée, via son dispositif Feader, à hauteur de 2 millions d’euros. L’Agence de l’eau Adour-Garonne également, à hauteur de 50% du budget, le conseil général prenant à sa charge le solde.
En tant que maître d’ouvrage, le Département a établi une convention publique d’aménagement le 4 août 2008 avec la CACG (Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), une société d’économie mixte émanant des collectivités du grand sud-ouest dont le siège social est à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées.
Les experts indiquent que la CACG « a joué, depuis vingt-cinq ans, un rôle central dans le portage de cette opération ». la CACG a mené les études de faisabilité, elle est désignée en tant que chargée de l’aménagement et doit assurer la première année d’exploitation de l’ouvrage.
Le conflit d’intérêt évident est dénoncé par les associations environnementales, et la Confédération paysanne).
Après diverses plaintes des défenseurs de la nature, une enquête est diligentée par le ministère de l'écologie
Avant que les experts rendent leur rapport, et en toute illégalité, le conseil général du Tarn ordonne l'abatage des arbres; I,5 ha de haute futée sont rasés.
Apres avoir menés leur enquête en octobre 2014 les experts nommés par le ministère de l’écologie Ms Forray et Rathouis estiment « que le nombre de bénéficiaires du barrage de Sivens se situant dans l’optique sécurisation/substitution est de l’ordre de 30, et les préleveurs nouveaux environ 10. » 20 exploitations étant déjà bénéficiaires d’apport en eau
Ils remarquent : Les surfaces irriguées ont diminué d’un tiers entre 2000 et 2010, passant de 5 700 à 3 800 ha et ne représentent plus que 12,5% de la surface agricole utile au lieu de 18,5% en 2000. Ceci a été confirmé lors de plusieurs entretiens avec des agriculteurs qui ont suspendu ou réduit la surface irriguée bien que leur ressource ne soit pas limitante. Nos entretiens semblent montrer que la chute du prix des céréales des années 2006- 2007 a suscité des comparaisons de marges nettes entre cultures, aboutissant au développement des cultures sèches au détriment des cultures irriguées les plus exigeantes en termes de charge de travail. Le renchérissement des cours depuis 2010 n’a pas inversé cette évolution. Une plus grande sélectivité de l'emploi de l'irrigation est observée, liée aux contrats de maïs semence, à la maîtrise de certaines étapes clés de développement des plantes ou aux productions visant la garantie d’une base fourragère pour les élevages. La relative disponibilité du foncier a sans doute facilité cette évolution. Ainsi, il est frappant de voir que l’investissement important en retenues individuelles est aujourd’hui largement sous utilisé.
Ils sont très interrogatifs sur le financement, pensent que les financements européens ne pourront pas être versés.
Et indiquent : la mission souhaite que Sivens soit considéré comme un tournant dans la gestion de l’eau en Adour-Garonne, dernier projet d’une époque, première étape d’une évolution majeure.
Mon témoignage
Je suis arrivé à la Zad en passant par la forêt guidée par quelqu’un qui connait bien les lieux, les routes qui y mènent sont presque toutes barrées ; Cet endroit vous agresse, c’est comme une énorme blessure au milieu de la forêt ;
les arbres ont étés arraches et débités sur place ; 1.5ha nu…On marche sur les copeaux de bois, du mulch. Au milieu coule toujours le Testet , l’eau a refait son chemin sur cette terre sans vie. A l’extrémité de la zone nue, une métairie abandonnée depuis longtemps,
héberge la cuisine collective ; elle regroupe autour d’elle de tentes et des abris de fortune, certains sont tout proches d’autres plus éloignés, d’autres enfin sont réfugiés sous les arbres du bord de la forêt ou dans les arbres….. cette zone regroupe environ 250 personnes.,
A l’autre bout de l’énorme blessure, 1 Km plus loin, à l’endroit où la grenade offensive d’un gendarme a tué Remi Fraisse un jour de fête, un autre gros campement qui ressemble au premier et regroupe autour d’un fort de bande dessinée environ 150 personnes ; là pas de maisons en dur juste une grande cabane en bois entoure d’eau (le fort) qui sert de cuisine collective.
Entre ces deux points, dans le no man’s land en lisière de la forêt quelques tentes isolées ; au-dessus d’une tente bleue flotte tristement un drapeau occitan.
Quand on arrive, des gens discutent assis à une table mais la plus part s’activent…Les uns construisent des habitations de bois, d’autres travaillent à un futur jardin… on passe devant un poulailler …. Une fille cherche une brouette… C’est la vie quotidienne, mais, on sent bien que pour subsister ici, en plus de l’entre aide sur place, une aide extérieure est nécessaire. Il faut des provisions, de l’eau potable….
Ce soutien nécessaire existe : J’ai vu ici des gens du coin qui viennent apporter de la nourriture ; certains passent toutes les semaines, ils me l’ont dit. Une dame à l’accent Tarnais vient tous les jours ; elle recharge les portables… j’ai vu ici des agriculteurs apporter du matériel pour les constructions. L’un d’entre eux avec qui nous avons parlé en oc nous a expliqué qu’il venait de démonter une station de tabulation et qu’il apportait les planches et les poutres qui pouvaient servir sur la ZAD ; Il nous a explicité son hostilité au barrage. J’ai vu ici les habitants du Tarn , des agriculteurs voisins aider les protestataires. J’ai vu la solidarité des gens du Tarn avec les Zadistes
Qui sont les Zadistes
Il y a ici des gens de partout et de conditions diverses ; il y a des non violents, des altermondialistes et des écologistes. J’ai vu un alsacien qui était là pour une semaine et un vieil anar qui était là depuis plus d’un an. Certains n’ont pas de travail, ils restent un bon moment ; d’autres ne viennent que le week-end, d’autre passent une petite semaine de congés. La population de la ZAD varie constamment ; il y a des gens du Tarn et de Lot et Garonne qui ne restent pas longtemps mais viennent souvent ; bref chacun agit selon ses disponibilités en toute liberté.
Ce mouvement dépasse très largement les milieux associatifs. Les hommes qui ont en main les leviers économiques n’entendent pas la parole de la société civile ; les simples citoyens se sentent frustrés par ces hommes politiques qu’ils ont élus et qu’ils ne contrôlent pas ; cette frustration s’incarne chez les zadistes. On peut dire que c’est devenu un nouveau mouvement social.
On sent clairement que s’opposent ici deux conceptions de l’agriculture. la conception productiviste et intensive défendue par la FNSEA et la coordination rurale unie dans la manifestation pro-barrage d'Albi ; on ne la voit pas au Testet (elle existe, mais plus bas dans la vallée)..ici, Une partie a choisi une agriculture à circuit court, économe en eau, ce qui explique la longue opposition (plus de 30 ans) des agriculteurs devant les divers projets de barrages. Pourquoi devraient ils supporter les inconvenants d’un projet qu’ils ne souhaitent pas ?
Sur ce lieu minuscule du territoire occitan s'affrontent deux conceptions de l'agriculture et deux conceptions de la société. Comme une bonne part des partis hexagonaux certains partis occitans, loin du lieu de l'affrontement et des réalités de terrain préfèrent croire que cette contestation est étrangère aux acteurs locaux et qu’elle leur échappe.
Ce que j’ai vu démontre le contraire.
La lutte contre le barrage du Testet est une lutte solidaire, c'est une solidarité pour une autre gestion du territoire, une autre démocratie, un autre avenir....