Kabylie, pays berbère.

Publié le par eve.api-oc

KABYLIE

Vouloir libère

La Kabylie vient de célébrer le 28ème anniversaire de son précieux printemps berbère. Malgré une insistance soutenue et ininterrompue à s’affirmer dans l’Algérie postcoloniale, elle demeure victime d’un abominable déni identitaire.

Bien que pionnière dans la contestation des régimes totalitaires de type soviétique, les fameuses démocraties populaires, la Kabylie peine à concrétiser ses différentes revendications. Sa première rébellion, quelques mois après la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, réagissait au coup de force du clan d’Oujda, légitimé par un chef historique particulièrement mis en vedette par les médias français, Ahmed Ben Bella. L’autoritarisme de ce dernier poussa en 1963, un autre chef historique, Hocine Ait Ahmed, à reprendre le maquis dans les montagnes de sa Kabylie natale, en pensant que son exemple allait faire tache d’huile dans les autres régions. Il n’en a rien été.

Depuis cette infructueuse tentative, le pays a sombré sous une dictature digne du régime stalinien. Ne pouvant plus supporter cette chape de plomb, la Kabylie a ouvertement exprimé son rejet de la politique du parti unique à travers les manifestations du 20 avril 1980 qui enflammèrent toute la Kabylie.

Dénommée printemps berbère, cette révolte dénonça l’absence de liberté d’expression, la violence culturelle imposée aux Berbères et réclama l’ouverture démocratique. Bien que cette revendication soit antérieure d’une dizaine d’années à la chute du mur de Berlin, elle reste toujours largement insatisfaite. Depuis ce printemps de tous les espoirs, particulièrement celui d’exister en Algérie sans renier sa langue et sa culture et sans se taire devant l’injustice, beaucoup de temps s’est écoulé. Car depuis, bien des frontières ont été redessinées. Des pays entiers se sont même faits et défaits. Des régions beaucoup plus petites et moins peuplées que la Kabylie ont vu pacifiquement le jour. D’autres régions ont vu, en toute quiétude, leurs prérogatives régionales élargies et renforcées : la Catalogne, le Québec, l’Écosse etc.

La Kabylie, quant à elle, consciente que le temps ne joue pas en sa faveur, attend avec impatience une sortie de crise. Le pourrissement, que le pouvoir entretient si bien, rogne sévèrement son identité et l’enlise progressivement dans un marasme dont elle ne se relèvera pas sans séquelles. Cette désolante situation est aujourd’hui plus qu’alarmante. Elle l’est plus qu’hier, car aujourd’hui ne tolère pas l’immobilisme. Les pays font un effort sans précédant pour se doter de colossaux supports techniques leur permettant d’accroître l’influence et la fluidité de leur culture. De tous les côtés, la concurrence fait rage. En ce 21ième siècle, où le monde évolue à grande vitesse, priver une culture des nouvelles technologies de communication la condamne à une disparition certaine. Il suffit d’un simple regard dans le rétroviseur pour voir qu’hier appartient déjà au vieux monde. Jusqu’ici, aucune autre prouesse technique n’a autant transformé notre planète. Cette mutation généralisée des sociétés que l’on appelle mondialisation a, malgré son esprit foncièrement mercantile, l’incontestable mérite de rapprocher les peuples aussi lointains soient-ils. Les barrières douanières, les frontières et les différents obstacles administratifs, se sont effondrés emportant dans leur sillage le sacro-saint principe de défense de la souveraineté nationale, permettant aux despotes de mater à huis clos les dissidents. Contrairement aux prévisions des observateurs et analystes* qui croyaient que la mondialisation allait entraîner la disparition des cultures régionales, celles-ci se sont paradoxalement raffermies avec beaucoup de vigueur, de dynamisme et une inébranlable volonté d’exister. N’est-ce pas le meilleur moyen de se protéger des méfaits de la mondialisation et d’appréhender de manière sereine l’universalisme?

L’exemple tibétain illustre magistralement cette volonté d’exister. Bien qu’ils ne représentent que 0,5% de la population chinoise, les Tibétains clament haut et fort face à la chine, puissance nucléaire et géant de l’économie mondiale, leur droit à la différence. Le courage des ces moines habillés d’un simple tissu de couleur bordeaux couvrants leur corps frêle dans lequel bout une indéfectible détermination de s’affranchir de la tutelle de Pékin est admirable. Par le passé, il aurait suffi aux dirigeants chinois de faire entendre quelques bruits de bottes de leur armée disciplinée et prête à bondir pour venir à bout des ces moines bouddhistes. Aujourd’hui, la donne a changé. Grâce aux médias et à la facilité de communiquer via le net, des pressions énormes sont exercées sur les autorités chinoises. La menace de boycottage des jeux olympiques, que j’espère plus ferme, brisera les chaînes de l’oppression et obligera, je le souhaite, les chinois à accorder sa liberté au Tibet. C’est cela aussi la mondialisation. Il faut y croire. Notre époque permet aux causes injustement opprimées de s’exprimer, de chercher à gagner des sympathisants, de s’organiser sans soucis d’autorisations et de peser politiquement.

Nous vivons une époque où aucune censure n’est sérieusement envisageable. En s’appuyant sur les supports techniques existants, si la volonté est de mise, tous les peuples opprimés du monde peuvent se libérer. Il faut simplement oser sa liberté. Mieux « Soyez réaliste, demandez l’impossible », disait le mythique combattant de la libertad, Che Guevara. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Tibet semble s’inspirer de cette déroutante maxime. La volonté, le courage et la sagesse des Tibétains, ainsi que la justesse de leur cause, leur ont rallié toutes les organisations des droits de l’homme qui ne cessent de mobiliser, à travers toute la planète, d’innombrables sympathisants contre la dictature de Pékin. A titre d’exemple RSF* a déjà acquis des actions dans plusieurs multinationales qui participent au sponsoring des JO de Pékin. Cette acquisition permettra aux militants des droits de l’homme d’assister en tant qu’actionnaires aux assemblées générales de ces entreprises pour les sensibiliser, de l’intérieur, contre la nuisance de leur soutien à des pays non respectueux des droits de l’homme. Au Tibet, surnommé aussi le toit du monde parce qu’il se situe sur les hauteurs de la chaîne de montagne la plus haute du monde, l’Himalaya, la guerre décisive, celle des médias, a bel et bien commencé. Quelle que soit l’issue de ce bras de fer, le Tibet est irréversiblement engagé dans la voie de sa libération.

Les Tibétains, dans leur profonde sagesse, ont compris qu’il y a des concessions à ne pas faire, s’ils veulent vivre dans la dignité. Ce courage les a poussés à secouer cette grande Chine qui commence à faire trembler le monde par ses capacités commerciales. Heureusement pour eux, leur chef spirituel, le Dalaï-lama, n’est pas atteint du syndrome kabyle qui l’aurait incité à démocratiser le régime de Pékin avant de réclamer la liberté du Tibet.

Ayant fait de mauvais choix aux moments cruciaux de son histoire, la Kabylie continue de vivre avec le désagréable et frustrant sentiment de l’inaccompli.

On a beau chercher des excuses aux options, à la fois illogiques et déprimantes, de nos leaders politiques, rien n y fait. En politique les erreurs se payent comptant. Les différentes secousses émanant de la Kabylie, qui ébranlent périodiquement le pouvoir central sans résultat tangible, trouvent leur genèse dans la crise dite berbériste de 1949. Alors que les Kabyles étaient largement majoritaires dans le mouvement national, l’intransigeance de Messali Hadj et des Arabophones, qui étaient prêts à aller jusqu’à l’éclatement du mouvement plutôt que de reconnaître l’existence d’une culture berbère, avait poussé des leaders kabyles à faire des concessions stratégiques quant à l’identité future du pays. Piégés par leur patriotisme et aussi peut être par une confiance justifiée à leurs yeux par le nombre des leurs, ils pensaient reposer le problème identitaire une fois l’indépendance acquise. Ils ont tous été écartés un à un de manière humiliante pendant la guerre ou après l’indépendance du pays, lorsque, bien sûr, ils n’ont pas été purement et simplement assassinés. L’Algérie s’est construite dans la négation de l’identité kabyle. Dans le meilleur des cas, le pouvoir concède un strapontin que certains Kabyles ont malheureusement accepté. C’est avec des méthodes méprisantes et autoritaires, datant de l’époque coloniale, que l’Algérie essaie, sans y parvenir, de construire un État-nation. Le modèle choisi, l’État jacobin français, a malheureusement été reproduit par les pays africains après leur accession à l’indépendance, ce qui explique les dramatiques échecs enregistrés un peu partout. Les « État-nations » postcoloniaux africains, héritiers en fait de territoires tracées à la règle par les puissances coloniales sur des cartes de géographie, n’ont pas trouvé la formule qui permettrait de rétablir les équilibres. En Algérie, la situation est encore plus grave : ayant choisi l’arabe moyen-oriental au détriment des langues du pays comme langue fondatrice de l’identité nationale, en falsifiant l’histoire de son peuple, le pouvoir a dangereusement hypothéqué le devenir du pays. Et il s’étonne aujourd’hui que des millions d’Algériens aient leurs pieds en Algérie et leur tête au Moyen-Orient.

Ayant subi de plein fouet les méfaits des choix de l’État-nation postcolonial algérien, la Kabylie a compris que ce moule ne lui convenait pas. Elle prend aussi conscience que les deux principales formations politiques ancrées en Kabylie, le FFS* et le RCD*, à cause de leur volonté de rassembler tous les Algériens, ne répondaient pas à ses exigences urgentes dans un pays où elle est minoritaire. Toutes les louables tentatives du FFS et du RCD se sont avérées vaines. La déception est à chaque fois à la hauteur de l’illusion que leurs leaders politiques nourrissent : s’emparer démocratiquement du pouvoir et offrir la démocratie à tous les Algériens. Un luxe que la loi du nombre ne leur permet pas. Chaque consultation électorale vient rappeler aux Kabyles cette amère et frustrante vérité, sans toutefois atténuer l’exécrable rivalité de ses deux formations politiques. En s’auto-neutralisant, les deux partis, qui se veulent nationaux, mais sont perçus comme kabyles, retardent la région dans sa quête de liberté. Dans ce contexte, vouloir insister en argumentant comme le font le RCD ou le FFS, seuls partis en Algérie ayant un programme véritablement démocratique, peut être interprété légitimement comme de « l’arrogance démocratique ».

La Kabylie peut accepter le cadre d’un État-nation, mais adapté à sa situation. Un cadre qui la reconnaîtrait dans toute sa dimension, historique, culturelle, linguistique et politique. Qui lui accorderait, comme le préconise le MAK*, un statut similaire à celui de la Catalogne en Espagne. Une solution qui clarifierait le jeu politique et apaiserait les tensions. Quant à ceux qui stigmatisent les penchants politiques ou spirituels de la Kabylie et son attachement à ses spécificités linguistiques et culturelles et affirment en même temps que la Kabylie est une région comme une autre, ils feraient mieux d’assainir leurs idées.

Dépoussiérer les manuels d’histoire des mensonges enseignés à nos jeunes honorera significativement nos éducateurs. C’est le geste le plus indiqué pour libérer le pays des blocages qui l’empêchent d’entamer les nombreuses réformes qui l’attendent. Celles concernant le code de la famille qui a infériorisé juridiquement les femmes algériennes tant glorifiées par le FLN, la politique d’arabisation qui a sinistré l’enseignement et, encore plus grave, livré les cerveaux innocents de nos enfants à des charlatans. Celles qui concernent aussi l’implication politique de l’armée, les dispositions pénales relatives à la liberté de la presse qui permettent à une justice aux ordres de traiter comme des malfrats les journalistes indociles. Autres chantiers urgents : l’indépendance de la justice, la reconnaissance des syndicats autonomes et le bannissement définitif de cette honteuse arme des faibles qu’est la censure, dont est malheureusement victime l’une des plus savoureuses plumes du monde francophone actuel, l’auteur du « serment des barbares », Boualem Sansal.

Pour le moment, les dirigeants semblent être occupés par des réformes constitutionnelles dignes des pays les plus rétrogrades. Ils essaient de rétablir les méprisables mécanismes qui ont poussé le pays à des dérives désastreuses et qui n’ont qu’un objectif: perpétuer coûte que coûte le système rentier et les hommes interchangeables en place.

Personne ne peut nier les tentatives de la Kabylie de venir à bout de ce système, mais sans y parvenir, faute de solidarité. Dans une solitude absolue, elle a encaissé les ripostes meurtrières du pouvoir. Malgré ses blessures, encore ravivées en 2001, elle continue de rêver aux objectifs pour lesquels se sont sacrifié tant de ses meilleurs fils avant et après l’indépendance : la liberté, la dignité et la justice.

Lyazid Abid

vue sur le site : kabylie.com

yazlota@hotmail.com

* Voir l’œuvre de Francis Fukuyama : La fin de l’histoire et le dernier homme.

* Reporters Sans Frontières

* Front des Forces Socialiste de Hocine Ait Ahmed

* Rassemblement pour la Culture et la Démocratie du Dr Said Saidi

* Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie de Ferhat M’henni

Publié dans peuples

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